Les Sans Pattes, le groupe

Caprice ? Envie soudaine ? Mauvaise pioche. Ceux qui suivent de près Robert Combas savent son lien indéfectible et tenace avec la musique. Effectuer une plongée dans son éléphantesque discothèque s’apparente même à une sorte de vertige. Qui n’a pas été scotché par son impressionnant cabinet de travail, installé à l’identique l’été dernier au Palais de Tokyo durant l’exposition de Michel Houellebecq Rester vivant ? C’est un collectionneur insolent de vinyles, un fervent connaisseur de la culture anglo-américaine. Le peintre fondateur (avec Di Rosa, Blanchard, Boisrond) du mouvement Figuration Libre au début des années 80 a toujours connecté son art au rock. L’un est toujours imbriqué à l’autre, propice à son inspiration. Juste avant son avènement, il avait même créé un groupe Les Démodés. Durée de vie éphémère, moins d’un an. Ce chemin sonore, il l’a emprunté jusqu’ici différemment, intimement à ses tableaux. Se souvenir notamment d’une de ses expositions majeures il y a quelques années au Musée d’art contemporain de Lyon. Elle avait été judicieusement baptisée Greatest Hits. Dans une des salles, la possibilité d’entendre Egyptian Reggae des Modern Lovers, groupe pré-punk de la scène américaine. Puis de découvrir, juste à côté, une toile s’intitulant Les garçons à la plage, clin d’œil aux Beach Boys qu’il vénère.

La passion chevillée à son corps volcan, Robert Combas ressent comme un besoin viscéral de décharger ce trop plein créatif. Cette fois-ci, il ne reculera plus. Au cours de l’expo Sans filet, il fait la connaissance du plasticien-vidéaste Lucas Mancione. Un Sétois, tout comme lui. Rencontre essentielle, majeure, précieuse. Naissance des Sans Pattes à l’orée de cette nouvelle décennie. Mêmes velléités exploratrices, mêmes aspérités artistiques, mêmes langages communs. Ces deux-là ne se cherchent pas, ils se trouvent. Binôme aventureux, audacieux, complice, complémentaire. Combas à l’écriture des textes et à la composition, Mancione aux arrangements et à l’enregistrement. Sur scène, ils se livrent à des performances – et non pas des concerts – dans lesquels des vidéos filmées en plans fixes ont des allures de tableaux vivants. Parallèlement et de manière presque jusqu’au-boutiste, Les Sans Pattes continuent d’accumuler de la matière. Démarche gloutonne et dévorante. Beaucoup de titres en stock. Un EP voit le jour en juin dernier. Déjà des échappées libres, imprévisibles, des angles d’attaque ouverts à tous les vents. Première déclaration d’indépendance avant de s’attaquer au sacro-saint album. Parce que si le projet est avant tout scénique, l’écoute du disque n’a rien d’anecdotique.

Notre Renaissance est une fulgurante décharge, un geyser d’émotions glacées et brûlantes, une recherche assumée d’une expérience extrême et unique. Ce qui frappe c’est la tension, autant féconde que constante, qui habite tous les morceaux. Groupe au fort caractère donc. Parfois electro. Souvent un peu punk. Toujours particulièrement rock. Des morceaux physiques et bruts. Compacts et entêtants. Les Sans Pattes accueillent à bras ouverts psychédélisme et répétitions. Capables de passer d’une déflagration salement déstructurée (C’est bon c’est bon) à des boucles chamaniques (I am the king bee), d’un groove hypnotique (Nuage de plomb) à une langueur voyageuse (Un simple paysage), ils sabotent les repères. Inventent un univers sans préoccupation des normes et des attentes. Et alignent une série d’humeurs impétueuses. Aucune attirance ici pour le confort ou les schémas pré-définis. Les titres foncent tête baissée ou s’étirent sur la durée. Il y a aussi des guitares au garde-vous qui embrassent une sensualité vénéneuse (Un amour à la Serge Gainsbourg), des cliquetis obsédants (Nos renaissances), une percée orientale incantatoire (You light me on), de l’électro en cavale et puissamment dansante (Europe).

Chez ce duo, un refus aussi pour la sagesse pépère des mots universels, pour le conformisme redondant.   Écriture impressionniste, baroque, burlesque, spontanée. En ressenti. Elle dit des choses troublantes comme « Moi j’ai le cœur en feu/ Je trouve ça moelleux ». La voix de Combas, qui se rapproche d’un spoken-word à la Daniel Darc, se développe dans tous les positionnements inimaginables: en retrait, imprécatrice, psalmodiée, éructante, apaisée, tumultueuse. Là encore, un saisissant brouillage de pistes. Les Sans Pattes interpellent, provoquent, troublent. Rarement un tel chaos n’aura été aussi jouissif.